I) Turlough O’Carolan un harpiste-compositeur sensible et innovateur
O’Carolan (Ou Toirdhealbhach Ó Cearbhalláin, de son nom irlandais) est né en 1670 près de Nobber à Newtown dans le county Meath. Il est issu d’une famille modeste qui à ses 14 ans déménage à Ballyfarnon un village situé dans le nord du county Roscommon, afin de travailler pour la famille des MacDermott Roe. Ceux-ci prennent sous leurs ailes le jeune Turlough O’Carolan et lui offrent une éducation. Cependant durant l’année de ses 18 ans, celui-ci attrape la petite vérole, ce qui le rendre aveugle. La famille Mac Dermott va alors lui apporter son aide en lui faisant donner des cours de harpe et de l’argent afin qu’il puisse devenir harpiste itinérant. C’est donc à 21 ans qu’il entreprend son premier voyage à travers le pays. A cette période, les harpistes itinérants sont très répandus et sont appréciés des riches familles sensibles à cet instrument et à la musique traditionnelle irlandaise. Généralement O’Carolan créé ses morceaux en relations avec ses mécènes. Il crée des airs et compose des textes faisant l’éloge de ses patrons puis y insère quelque vers en irlandais qu’il va créer à partir de l’air de la musique. Malgré le grand nombre de concurrents, Turlough O’Carolan parvient à se démarquer non pas par son talent de harpiste, n’ayant appris à jouer que seulement 3 ans auparavant, mais pour son aisance à composer des airs ainsi que des vers. Kohl dit d’ailleurs dans son Kohl’s Ireland, en 1843 à propos du morceau « Sí bheag Sí mhór », créé en 1693
L’un des plus grands succès d’O’Carolan est celui d’avoir pu être célèbre et de pouvoir éditer certains de ses morceaux de son vivant. Malgré un succès certain, Turlough O’Carolan sera vivement critiqué à ses débuts, par rapport à la composition de ses morceaux. En effet, celui-ci utilise une technique de composition tout à fait surprenante consistant à créer d’abord un air puis à lui attribuer des vers, ce qui va à l’encontre des techniques de compositions traditionnelles. De plus, Carolan est fortement influencé par la musique baroque italienne (notamment celle de Francesco Geminiani qu’il apprécie tout particulièrement) ce qui donne cet aspect si singulier aux diverses compositions du harpiste et explique sans doute aussi pourquoi ses œuvres ont tant marqué les esprits. La personnalité du compositeur transparaît grandement dans ses compositions. Carolan est réputé pour avoir été une personne de nature enjouée et sensible ce qui va l’amener à créer des morceaux très touchants et emprunts des différents éléments intervenants dans la vie du compositeur, comme par exemple la suite de quatre morceaux “Bridget Cruise” que le compositeur crée pour miss Bridget Cruise, une femme avec qui il entretiendra des sentiments non partagés.
Il va tout au long de sa vie contribuer à un regain d’intérêt pour la cláirseach, ce qui ne va malheureusement pas suffire pour conserver l’usage traditionnel de cet instrument au fil des ans. En effet à partir de la mort de Turlough O’Carolan, la harpe celtique va entamer inéluctablement son déclin.
II) Le déclin de la harpe irlandaise traditionnelle
Il existe à ce phénomène plusieurs raisons. Tout d’abord, le grand succès de Turlough O’Carolan a suscité beaucoup d’intérêt et donc de vocations au début du XIXe siècle. Un grand nombre de jeunes hommes vont se lancer dans la composition et la pratique de la harpe en itinérant, cependant tous ne connaîtront pas le destin de Carolan et ne parviendrons pas à se démarquer. De plus cette profession est devenue rapidement une profession réservée à une population aveugle ce qui, selon une théorie soulevée par J.Mac Donnell dans une lettre qu’il adresse à Edward Bunting, est indirectement freiné par le traitement de la petite vérole, bien que cela reste une hypothèse qui doit être traitée avec précaution car elle n’explique cependant pas pourquoi des personnes voyantes n’ont pas pris la relève. Enfin la dernière raison, qui n’en est pas des moindres, est l’apparition et de la démocratisation, dans ces années du piano forte ainsi que de la création de la harpe irlandaise moderne. Ces deux instruments nouvellement à la mode vont remplacer progressivement l’ancienne Cláirseach. Le public intéressé par la harpe celtique va progressivement s’en désintéresser au profit du piano forte et de la harpe moderne. L’instrument va donc entamer son déclin mais également avec lui les techniques traditionnelles de jeu ainsi que certains types de morceaux ne pouvant pas être joués sur une harpe moderne. En effet la harpe moderne est constituée différemment et parmi ses nombreuses disparités avec la harpe traditionnelle, s’inscrit la différence d’écart entre les cordes ce qui empêche les harpistes modernes de jouer des morceaux aussi rapides que sur les anciennes harpes.
III) Mort de la harpe celtique traditionnelle ?
Contrairement à ce qu’aurait pu nous laisser présager le rapide déclin de la Cláirseach, celle-ci n’en est pas morte pour autant. Après la mort de Turlough O’Carolan, d’autres de ses pairs continuent à jouer sur le modèle itinérant comme par exemple Arthur O’Neill, l’un des derniers représentants des harpiste-compositeurs itinérants. De plus à partir de la fin du XVIIIe siècle, de nombreuses personnes s’engagent et créent des festivals dans le but de faire revivre et perdurer la musique traditionnelle ainsi que la poésie irlandaise. Il en va donc de même pour la pratique de la harpe celtique puisque celle-ci est intimement liée à ces deux disciplines. Bien que marginale, la harpe irlandaise traditionnelle est toujours pratiquée à l’heure actuelle et ce bien que son aspect traditionnel puisse être discuté (les derniers harpistes compositeurs traditionnels ayant disparus et la présence de peu de sources pouvant nous informer réellement sur le sujet). La harpe traditionnelle celtique a acquis une symbolique qui toujours aujourd’hui est chargée de sens. Dès le XVe siècle, celle-ci a été utilisée sur des drapeaux Irlandais et a été choisie par le poète irlandais William Yeats afin que celle-ci figure sur les pièces de monnaie. Cela lui a donné un rayonnement international, ce qui fait d’elle un des symboles de l’Irlande reconnus dans le monde entier. Bien que peu pratiquée, la Cláirseach n’en est pour autant pas tombée dans l’oubli et reste présente dans la représentation de l’Irlande collective. Enfin, O’Carolan reste encore extrêmement connu dans le milieu de la musique celtique ce qui permet indirectement la promotion de la harpe celtique.