Le folklore scandinave le nommait Yggdrasil (cheval d’Odin), celui Hindous Asvattha («le gardien des chevaux») tandis que dans la culture maya, il était désigné par le nom Yax Imix Che ( «l’arbre bleu-vert de l’abondance»). Notion présente dans un nombre considérable de mythologies, l’Arbre-monde permettrait non seulement de lier différentes parties de l’univers entre eux, mais aussi d’offrir la vie à ses habitants. Cet arbre cosmique laisse encore aujourd’hui de nombreuses traces archéologiques, onomastiques, littéraire… ce qui tend à prouver son importance dans les cultures indo-européennes, précolombiennes et sibériennes.
Cet arbre-monde était-il aussi présent dans la cosmologie celte ?
Arbres de pouvoir, arbres de magie : la vénération d’arbres pluriels
Que ce soit dans la culture celtique ou dans celle romaine, les arbres sont sacralisés, comme une incarnation terrestre des dieux eux-mêmes. À cause de la tradition religieuse celtique qui fut autrefois exclusivement orale, le nombre de textes écrits par les cultures celtiques qui portent sur les pratiques religieuses et donc sur leurs relations aux arbres, auxquelles nous avons accès est extrêmement limité. On retrouve toutefois de nombreuses mentions des arbres et de leurs cultes dans les écrits des peuples voisins des Celtes, notamment des Romains. Ainsi, Pline, dans Histoire Naturelle, XVI, écrit que les Gaulois n’ont «rien de plus sacré que le gui et l’arbre qui le porte». Il insiste sur le fait que cet arbre, le rouvre, de la famille du chêne, est utilisé pour toute cérémonie religieuse et que son fruit est cueilli avec une immense déférence. Pline rappelle alors, que c’est pour cette raison que les druides appelaient cet arbre “celui qui guérit tout omnia sanans”. Il explique même la façon dont les Celtes et gaulois ramassaient le gui, la cérémonie étant extrêmement codifiée où les rouvres doivent être gardés et où seuls les druides les plus importants avaient l’honneur de les cueillir. Ainsi, d’après Édouard Schuré, la cueillette du gui durant le solstice d’hiver était «la plus mystérieuse et la plus sacrée de leurs fêtes religieuses.»
Bien qu’il ne soit pas Celte, Virgile évoque la branche de gui, dans son Eneide (livre VI), sous le nom du « rameau d’or », branche qui lui permettra de revenir des enfers. Bien que le gui du chêne ne soit pas une plante typiquement romaine, elle apparaît pourtant dans une des œuvres les plus importante de la littérature romaine, ce qui tend à démontrer que l’importance qu’elle revêtait pour les Celtes était connu du monde romain, ainsi que ses pouvoirs vitaux. Les Celtes croyaient alors aux pouvoirs d’immortalité et aux bienfaits physiques et spirituel du rouvre, et de son gui.
Le hêtre est lui aussi un arbre divinisé. Cela est surtout visible sans aucun doute dans les Pyrénées où, outre de nombreuses forêts de pins et de hêtres, des sanctuaires dédiés au dieu Fagus, nom qui signifie justement “hêtre” en latin, ont été retrouvés. Ce dieu, d’après R. Sabayrolles et G. Fabre, aurait pour fonction la « protection des activités du bois et du fer ». Le hêtre est un pendant extrêmement important de l’économie pyrénéenne à cette époque, cela ne surprend donc pas qu’il soit honoré dans différents villages de la région. Dans les années 1960, fut retrouvé et étudié, par G Fouet, un archéologue, un sanctuaire qui eut pour but d’honorer le dieu Fagus, ce qui explique les dés votifs retrouvés et qui représentaient vraisemblablement une faine [1]. Pour l’archéologue, l’arbre et le dieu correspondant était donc aussi vénéré pour ses fonctions nutritives comme il produisait des glands dont la poudre d’amande servait à faire de l’huile et à nourrir les animaux.
Durant la nuit qui précédait la fête de Beltaine, qui marquait le retour du beau temps, le premier mai, les Celtes déposaient sur le rebord de leurs fenêtres ou sur le pas des portes, une branche de hêtre, afin d’éloigner les mauvais esprits et surtout d’attirer la bonne fortune sur la maison. « Selon la croyance, les maisons, les gens et les animaux seraient protégés de tout mauvais événement. », disait Daniel Doujet. C’est de là que vient la tradition qui veut que le 1er mai, chacun possède une branche de muguet, qui se veut un porte-bonheur pour la personne qui la détient.
Le hêtre est donc « gage de longévité et de prospérité » écrit J.P. Persigout, il porte non seulement chance, mais permet aussi de communiquer avec les dieux. En effet, sa grandeur, sa majesté et sa longévité faisaient de lui un pont entre mortels et immortels, mais aussi entre les générations passées et celles présentes. Particulièrement honoré, le hêtre est aussi un reflet terrestre de l’univers.
Les arbres ont donc une symbolique religieuse mais aussi culturelle, pratiquement mythique. En effet, si le hêtre est un lien entre la terre et le ciel, le pommier est, lui, un lien entre le monde des morts et celui des vivants. Le pommier est un arbre récurrent dans différentes mythologies indo-européennes. Il est associé à la vie tout autant qu’à la mort. Ainsi, les Hespérides, dans la mythologie grecque, sont chargées de garder un jardin dans lequel poussent des pommes qui confèrent l’immortalité. Dans la mythologie scandinave, ce sont des pommes qui donnent leur jeunesse aux Ases. Lorsque Loki vole ces pommes, les habitants d’Asgard commencent à vieillir. Dans la mythologie gauloise, dans les Pyrénées, on retrouve un dieu nommé Abellio, peu connu, mais dont le nom pourrait venir du mot gaulois aballo, racine que l’on retrouve aussi dans l’Irlandais aball ou dans le gallois afall, l’un comme l’autre signifiant pommier.
Le terme d’Avallon, ou Avalon, dérive directement de ce mot. L’île est d’ailleurs parfois nommée insula pomorum (l’île des fruits) par Geoffroy de Monmouth. Outre étant une île apparemment pleine de pommes, Avalon est surtout connu pour être l’endroit où le roi Arthur a disparu et où, selon la légende, il séjourne en attendant de revenir. Avalon, aussi nommé Ynys Afallach en moyen-gallois, est donc une place hors du temps où la mort et la vie se confondent. On retrouve une île semblable dans la mythologie irlandaise en Emain Ablach (avec Ablach, la pomme donc), qui serait dirigée par le dieu de l’au-delà : Mannanan Mac Lir.
Ces îles des « pommes » désignant « très clairement l’Autre-Monde, ou plus précisément un des domaines appartement à l’Autre-Monde » [2] il n’est pas ahurissant de penser que les pommiers étaient vus comme des arbres magiques et des symboles de vie autant que de lien avec l’au-delà.
Finalement, les arbres prenaient une place importante dans la religion et les cultes celtiques d’antan, au point que certains arbres étaient déifiés tandis que d’autres devenaient l’incarnation d’un passage dans l’au-delà, vers les anciens autant que vers les dieux. Cela pourrait s’expliquer par le fait que, dans la culture celtique, le monde était le plus souvent représenté comme un arbre, qui reliait les différents mondes et offrait à ses habitants son énergie.
L’arbre, symbole du monde celtique
En effet, on peut retrouver de nombreuses représentations d’arbres dans les pays celtiques, qui ne correspondent à aucun arbre en particulier. Ces représentations ont le plus souvent une portée religieuse et métaphysique, comme la matérialisation du macrocosme.
On retrouve ainsi des cippes, votifs ou funéraires, où l’arbre est la principale, voire la seule, représentation divine. C’est le cas, par exemple, du cippe votif retrouvé à Zahlbac, où, bien qu’il s’adresse à Hercule, ce n’est pas le demi-dieu qui est gravé sur la pierre, mais un arbre.
De la même façon, un cippe funéraire à été retrouvé à Nancy, cippe sur lequel un arbre fut gravé, au dessus de l’inscription funéraire « D(ies) M(anibus) Caratull(a)e, Sationis Filiae ». Encore une fois, l’arbre n’est pas réellement reconnaissable et se dresse surtout comme une figure protectrice et rassurante, comme pour accompagner la défunte dans l’au-delà.
- Image d’un cippe funéraire
- Credits Image tirée du “Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine” de Espérandieu
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Les arbres, pour les peuples celtiques, n’étaient alors pas spécifiquement associés à un dieu, mais bien à un autre-monde, relié, grâce à sa structure tripartite, au ciel comme à la terre. Ainsi, alors que les racines de l’arbre représentent le monde des ancêtres, et son feuillage celui divin, le tronc, le monde des vivants, unit ces différentes parties de l’Univers.
Il y a donc une opposition entre les différents, mais aussi une unité certaine, permise par cet arbre. Notre monde est donc celui du milieu, entre le monde «mauvais» et celui «divin». Ainsi, l’Anglo-saxon «middangeard» qui signifie monde, se traduirait littéralement par «la cour du milieu» tandis que le toponyme gaulois Médio-lanon (qui se retrouve dans Milan, Moliens…) qui signifie littéralement «la plaine du centre» et dérive sûrement des mots medium : milieu et du vieil Irlandais lan, est sans doute une résurgence de cette vision du monde. Xavier Delamarre, chercheur en linguistique de la langue gauloise, propose de schématiser ainsi le regard que les Celtes portaient sur le monde et ainsi la façon dont les rois des différents mondes étaient nommés :
- Schéma des noms des rois celtiques en gaule
- cosmologie indo-europeenne rois du monde celtiques et le nom des druides
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Finalement, chez les celtes aussi, le monde est représenté sous forme d’arbre, alors que ceux-ci sont vénérés, en tant que tel, mais aussi dans leur singularité. Ils sont le lien entre morts et vivants, mais aussi le symbole d’un renouveau constant de l’univers. Ainsi, dans la mythologie irlandaise, la fin de la gouvernance des démons sur le monde est symbolisée par la destruction d’un arbre. Commence alors le règne des dieux. Dans une autre légende irlandaise, au contraire, alors que le monde sombre dans le chaos, et que la terre est submergée par les eaux, un arbre à survécu, arbre qui donna des fruits à la terre et permit la réapparition de terres cultivables : l’arbre de vie, l’arbre du monde. Il n’y a donc aucun doute, malgré le peu de traces qu’il nous reste de la religion celte, que les végétaux y tenaient une place extrêmement importante.
Ainsi, le mot druide signifie « connaisseur de l’Arbre du Monde », mais il peut aussi se rapprocher de deruos, « le chêne », l’arbre du monde serait donc un chêne, toujours d’après X. Delamarre. Darl J. Dumon, lui, annonce que cet arbre de Vie serait un frêne : il finit son article ”The Ash tree in the Indo-European culture, Mankind Quaterly par «The World tree for Indo-European was indeed a mead tree, and it rained celestial honey on the world.” Peu importe la nature de cet arbre, qui pouvait différer selon les cultures, l’important est que les Celtes, et de nombreux autres peuples, croyaient en une représentation macrocosmique qui les reliait à l’univers, aux autres mondes, leur offrait sa force, et qu’ils devaient donc honorer en retour.